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A Cuba, Che Fidel
11 juillet 2015

La Havane, encore des découvertes

Démarrage en douceur ce matin. La femme aux cheveux bleus avale son petit déjeuner à la même table que moi. La casa est calme, nous ne sommes que trois occupants pour dix chambres. Le petit-fils infernal des propriétaires fait la grasse matinée après avoir virevolté trop tard et passé trop de temps sur des jeux sans intérêt. Mais puisqu’ordinateur il y a dans la casa, mieux vaut qu’il serve. La plus âgée de la maison sort de sa chambre équipée d'une télévision, le pas lent et le regard interrogateur. A part échanger un bonjour et à bientôt, je ne saurais rien d’elle. Mes tentatives d’appels à Luciano, rencontré à Cienfuegos, pour qu’il me donne le numéro de sa sœur en France, sombrent dans les difficultés téléphoniques du pays. « Le mobile que vous appelez est éteint ou loin d’un réseau. » La propriétaire me dit qu’il en est ainsi tout le temps. Il faut persévérer. Mais des occupations m’attendent. D’abord envoyer le récit de la veille et chercher le centre culturel où l’on pourrait me renseigner sur le chœur américain qui doit se produire en ce moment à La Havane. S’il existe, ce centre culturel, je ne l’ai pas trouvé. En revanche, j’ai pu me connecter.

boucherie dans la vieille Havane.

La scène est d'autant plus rare que le jouet est exceptionnel pour Cuba.

Il fait sérieusement chaud ce matin. S’enfermer dans un musée ne sera pas un luxe. Je passe par le Prado qui va m’emmener jusqu’au Musée des beaux-arts. De nombreux artistes exposent leur production. Un seul attire mon attention. Il fait des lithographies avec du tabac. Disons que ses dessins ont la couleur du tabac. Mais les thèmes restent très cubains : fabrication de cigares, travail dans les champs, femme en habit typique… Dommage. Le reste navigue entre art naïf et pop art qui se croit original au point d’interdire les photos. Des femmes brodent des vêtements pour enfants. Plus loin, je vois un attroupement. Je me sens attirée comme une Française curieuse de savoir ce qui se passe. Tout est calme. Sur une vingtaine de mètres, des gens tiennent un bout de carton sur lequel ils ont écrit qu’ils vendent leur appartement, leur maison ou qu’ils échangent, pratique très courante ici. La description est en dessous. Les discussions portent visiblement plus sur la vie de tous les jours que sur les conditions de vente.

Cour intérieure du musée des Beaux-Arts.

Le Musée des beaux-arts est scindé en deux bâtiments. A l’entrée, deux femmes à l’accueil se préoccupent peu du visiteur désireux de payer son ticket. L’une d’elles compte la caisse et l’autre soupire sous le poids de la chaleur. Je demande un billet pour les deux musées. Hélas non, l’autre, celui qui n’abrite pas l’art cubain, ferme aujourd’hui et seule une salle est ouverte au public. Allez, ça recommence. Heureusement, celui qui avait ma préférence me révélera tous les artistes cubains de l’art colonial à l’art contemporain. Enfin presque. Les salles de l’art colonial sont fermées ! Aucune indication pour les photos.

Dès que j’entre dans la première salle consacrée à l’art contemporain, je prépare mon appareil. Et là, j’entends ce « tsst, tsst » que j’identifie clairement maintenant. C’est la façon qu’ont les Cubains d’interpeller. Ce n’est pas toujours très plaisant, mais c’est parce que ce ne sont pas nos codes. Ca ne ressemble pas à un sifflement, loin de là. Et la femme de surveillance de me dire qu’il est interdit de prendre des photos ou de filmer. Elle prend son travail très au sérieux et me suit à la trace. C’est d’autant plus facile que je suis pour l’instant seule dans la pièce. Je baigne dans l’art contemporain des années 1960. La révolution influence Raoul Martinez. Il répète la figure de José Marti 15 fois, celle de Fidel 16 fois et le Che, baptisé Phoenix, 9 fois. Antonia Eiriz exhume ses démons avec des figures dignes de Bacon. Son Annonciation donne envie de changer de religion. Angel Acosta Leon produit des œuvres guerrières, où les troncs de palmiers se transforment en canon et son Carrousel de la paix est une toile d’araignée dont on voit mal comment en sortir.

Une fois libérée de mon garde du corps très spécial, que j’aurais néanmoins réussi à duper, je pénètre dans l’autre partie du deuxième étage où la surveillance n’a pas la même exigence. Trois femmes discutent librement sans se soucier des visiteurs. Ce qui me laisse toute liberté pour photographier des œuvres pop art, des installations entre peinture et matière végétale. A la mezzanine, trois dessins de Jaime Valls. Un ancêtre de notre premier ministre ? Né à Tarragone en 1883, il est mort à La Havane en 1955. Ses dessins de femmes aux corps détendus voire très légèrement désarticulés s’intitulent Rumba. Une seule œuvre respire vraiment la modernité. C’est un tableau de Tomas Sanchez, « Relation ». Un morceau de pelouse a été découpé et flotte en l’air sous un nuage de la même forme. Il y a certes une odeur de Magritte, mais il se distingue des autres.

Salle consacrée à Wilfredo Lam.

Une salle entière est consacrée à Wilfredo Lam, l’artiste cubain ami de Picasso qui reste la référence pour beaucoup. Le corps de sa femme assise a des rondeurs tandis que sa tête consiste en un carré incomplet. Le morceau manquant étant un arrondi. Sa toile intitulée « Maternité » dégage de la douleur et dans l’ensemble ses personnages sont sans chair, leurs formes anguleuses produisent des individus mécanisés dans « Le troisième monde ». Une rétrospective doit avoir lieu à Pompidou à la fin de l’année. Seul un autre tableau, plus ancien, est mêlé à d’autres au troisième étage. Il s’agit d’un portrait de femme comme on produisait au début du XXe siècle.

Parmi le personnel de surveillance, il y a tous les genres. Ce ne sont que des femmes. Il y a les très sérieuses fliquant chaque visiteur, les endormies soulevant une paupière en entendant des pas s’approcher, des négligées écoutant de la musique d’une seule oreille, des ennuyées jouant à Candy Crush sur leur portable et des bavardes oubliant pourquoi elles sont payées. Dans l’ensemble, la peinture cubaine s’est peu intéressée au paysage, préférant le portrait ou les natures mortes. L’histoire y joue un grand rôle, et pas seulement celle qui court depuis 1959. L’ère Batista a aussi inspiré les peintres, générant plus de critiques que l’ère Fidel. Mon tableau préféré est « Le grand fasciste » mettant en scène un taureau habillé en général et haranguant une foule de bœufs dont on ne voit que les cornes. Il y a aussi de la sculpture éparpillée au milieu des peintures, mais elle est très mal mise en valeur.

La boutique du musée déçoit comme on pouvait imaginer. Pas un seul livre sur Wilfredo Lam. En revanche, un exemplaire d’un livre de René Burri est mis en évidence. Le photographe a eu une rétrospective en 2007 ici même. Quelques DVD dont je ne comprends pas bien le contenu, des objets inspirés d’œuvres, trois ou quatre photos et deux vendeuses écroulées sur une vitrine discutant sans voir le client. Quant aux toilettes, il n'y a pas d'eau, ni pour la cuvette ni au robinet. Une toute petite salle face à la sortie présente des objets en relation avec Charlie Chaplin. Parmi eux, Le Figaro Magazine numéro 472 avec Chaplin en couverture. Je n’arrive pas à lire la date dont une partie sur la tranche est cachée par un autre magazine. L’épaisseur de ce numéro ramène instantanément à une autre époque de la presse. Un exemplaire aussi d’un Paris Match mettant Chaplin à l’honneur.

Quand je sors, les vendeurs d’appartements se sont envolés. Les artistes, eux, sont toujours sur le Prado. Il fait toujours aussi chaud et contrairement aux autres jours, il n’y a presque pas d’air. Une pause glace s’impose. Et plutôt que de cuire sur place, je décide de me transformer en vraie touriste et de prendre le Havana tour bus. Oui, oui, le même qu’à Paris, New York, San Francisco, Londres et ailleurs. Avec le même système de « hop on hop off »… et une variante. Aucun ticket n’est délivré à la remise des 5 CUC. Vous pouvez donc descendre mais il faudra réclamer une preuve d'achat pour remonter ! Je m’installe sur le toit en priant pour qu’il démarre le plus vite possible. Une fois en route, la vitesse décoiffe et rafraîchit. Passage par le Malecon où mon œil découvre des maisons que je n’ai pas vues la première fois.

_PAY2335 (Copier)

La Havane, place de la Révolution.

Cuba, un pays de contraste même dans les couleurs.

En réalité, il y a peu d’arrêts et ils sont très espacés. Je décide de faire le tour complet quitte à le reprendre demain pour m’arrêter dans des quartiers vraiment très loin du vieux centre. Les explications jaillies des haut-parleurs sont incompréhensibles, en espagnol comme en anglais, du fait de la mauvaise qualité de l’équipement. Nous longeons le Malecon sur une très grande portion de ses 7 kilomètres. Puis nous  pénétrons dans la ville. Près de l’hôtel Melia Colon, j’aperçois des enseignes Nike et Adidas où des gens attendent devant la vitrine. Finalement, nous avons le même phénomène à Paris mais pour des lieux très différents. Aux Galeries Lafayette, des vigiles ne laissent entrer qu’un nombre restreint de personnes dans les espaces Vuitton, Dior et consorts.

Après avoir traversé le quartier du Vedado et longé le cimetière Colon, nous entrons dans Miramar, la partie « moderne » de La Havane. Il y a, c’est vrai, quelques très belles maisons, des ambassades forcément impeccables mais également des immeubles en piteux état. Après avoir transpercé des rues un peu étroites, le bus longe de nouveau la mer où s’alignent de beaux hôtels pour pousser jusqu’à l’Aquarium et le cirque sous chapiteau. Bizarrement, le retour se fait pour une bonne part sur le même circuit. Des Cubains montent parfois alors qu’il n’y a pas d’arrêt. Les enfants sont tout excités d’avoir les cheveux au vent, peu importe que leur siège soit en piteux état. Nous passons devant le glacier Coppelia où l’attente est aussi longue que la veille.

Auto promo pour la biennale.

 

Street art dans la vieille Havane.

De retour au point de départ, je descends et me mets à la recherche d’un restaurant. Ce sera Ivan Justo, un endroit où il est fortement conseillé de réserver. Ma solitude m’évite le plus souvent des déconvenues. Le chef a travaillé pour les dignitaires du régime et aussi à l’étranger. Sa cuisine cubaine retravaillée est réputée. J’opte pour une basique paella, excellente. J’avais oublié l'existence des petits pois. La vue depuis la terrasse est malheureusement bouchée par des antennes de télévision et des murs décrépis. Mais voilà un dernier dîner plaisant dans un cadre agréable et avec un service bien au-dessus de la moyenne.

Oeuvre de Tomas Sanchez.

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  • Premier voyage à Cuba, avant que les relations de l'île avec les Etats-Unis ne soient totalement réchauffées. Merci Barack Obama de cette décision qui m'a fait changer de destination de vacances.
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