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A Cuba, Che Fidel
10 juillet 2015

La Havane, terrain connu

Que c’est agréable d’être dans une ville que l’on « connaît » un peu. La vieille Havane m’est familière, je m’y repère facilement. Mais ce matin, après avoir pris mon petit déjeuner à la même table qu’une femme aux cheveux bleus tout droit sortie d’un film de Luc Besson, j’en sors pour aller dans le quartier du Vedado. Je demande à un bici-taxi combien il facture jusqu’à l’université : 10 CUC ! Il me croit née de la pluie d’hier, celui-ci.

La Havane, de l'art de la débrouille, toujours.

 

Mon chauffeur de bici-taxi et son tee-shirt inapproprié.

Et oh surprise, le licencié en économie qui m’avait convoyée jusqu’au théâtre national est là. Nous nous reconnaissons mutuellement. Il porte un tee-shirt ridicule, aux couleurs bariolées à dominante jaune et l'échancrure trahit un emprunt à la garde-robe de sa femme. J'en ai mal pour lui. Il accepte la course pour 5 CUC, tout en insistant pour dire que c’est aussi loin que la place de la Révolution. Ce qui n’est pas tout à fait vrai et je lui fais admettre que 10 CUC sont exagérés.

Les vieilles américaines bien alignées dans la rue Neptuno.

Nous empruntons la rue Neptuno que nous ne quitterons plus. Des magasins de viande exposent la marchandise à l’air libre, des dessins égaient un environnement parfois glauque et les vieilles voitures américaines s’alignent les unes derrière les autres.

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Devant l’université, vaste bâtiment de style grec avec ses hautes colonnes, des étudiants se photographient avec en toile de fond la statue Alma Mater. Ils ont un rouleau à la main, certainement le certificat de fin d’année. Ils sont sur leur 31, les filles étant habillées comme si elles assistaient à un mariage.

Salle principale au rez-de-chaussée du Musée Napoléon.

Juste à côté, je visite le Musée Napoléon. Un endroit totalement inattendu. Personne à l’accueil, j’entre sans verser la moitié d’un CUC et sans argumenter pour faire des photos sans payer. La demeure est somptueuse, et la collection d’objets, tableaux et mobilier est exceptionnelle. C’est la plus grande qui existe hors d’Europe. L’ensemble appartient à l’Etat après avoir été amassé par un certain Julio Lobo qui avait fait fortune dans le sucre. La collection est abritée dans l’ancien palais d’Orestes Ferrara, un avocat et politicien italo-cubain. Le gouvernement cubain sait-il qu’une mèche de cheveux de l’empereur peut valoir une fortune aux enchères ? Il y a une molaire sortie de la mâchoire de Napoléon, une brosse à dents et au moins deux montres ainsi qu’un masque mortuaire réalisé par son dernier médecin dont le corps repose au cimetière de Santiago. La bibliothèque contient 4000 livres, la très grande majorité en relation avec Napoléon, l’empire ou la révolution. Le musée s’étire sur trois étages.

Ancienne salle d'escrime au dernier étage du Musée Napoléon.

Au troisième, une femme distille avec plaisir quelques explications, la main posée sur le piano à queue. La terrasse, bordée d’azulejos et pavée de médaillons de Cervantès, du Quijote et de Sancho Panza, était un terrain d’escrime. Dans la répartition des étages pour le travail, cette femme s’est réservé celui-ci parce qu’elle trouve que c’est le plus intéressant et également le plus aéré. Il y a, me dit-elle, dans la bibliothèque un code Napoléon et le contrat de mariage avec Joséphine, ainsi que beaucoup d’éditions originales. Elle me conseille le Musée des arts décoratifs, à quelques blocs d’ici. Car dans ce coin, les rues ont des numéros dans un sens et des lettres dans l’autre, formant des blocs comme dans les villes américaines.

Entrée du callejon de Hamel.

Je passe d’abord par le callejon de Hamel. Une ruelle dont les murs ont été peints par Salvador Gonzales. Depuis, l’endroit s’est enrichi de sculptures à base de baignoires, de caisses enregistreuses et d’objets de récupération réinterprétés. Ce bric-à-brac fait penser à l’œuvre du facteur Cheval avec une influence de Dali très marquée. Deux jeunes femmes m’ont abordée avant que je n’y parvienne et ne me lâchent plus. Celle qui parle le plus sourit démesurément et ne me laisse aucun répit.

Fresque murale de Salvador Gonzales au callejon de Hamel.

Je colle mon œil à mon appareil photo pour éviter ces deux « jineteras » et prétexte un rendez-vous avec une amie pour m’éclipser. « Tu ne vas pas m’offrir un rafraîchissement, j’ai soif », ose la plus bavarde. Aïe, amiga, moi aussi, j’ai soif. Eh bien non, ma chérie, je ne t’offre pas un verre parce qu’un autre va bientôt se présenter et demander l’équivalent. Et aussi parce que cette fausse gentillesse n’est tellement pas cubaine. Je les ai vu venir, mais n’ai pas su les évincer à temps. Une amie sortie de mon imagination m’a libérée.

File d'attente au glacier Coppelia.


Puisque le Musée des arts décoratifs vaut le détour, j’y vais. Il y a dans le coin le célèbre glacier Coppelia. Le guide annonçait de longues files d’attente. C’est pire. Le bâtiment occupe une bonne moitié d’un bloc. Des gens attendent à tous les coins, les queues faisant une bonne centaine de mètres. Et je ne les vois pas bouger. J’interroge un premier dans la file. Cela fait deux heures qu’il patiente. Alors bien sûr, il y a un stand où l’on peut payer en CUC et où on entre tout de suite. Mais c’est l’ambiance à l’intérieur qui vaut le déplacement. Trop long, toutefois. Bon, les glaces sont bonnes selon l’un de mes guides, très moyennes selon l’autre.

Dans le Vedado se côtoient l'ancien et le nouveau.

Déception devant le Musée des arts décoratifs. Il est fermé car il n’y a pas d’électricité. Des réparations sont en cours dans le secteur en prévision des ouragans (c’est la période mais personne ne les souhaite) et donc pas de visite. Un groupe de gens en profitent pour entamer une discussion. Parmi eux un ancien professeur de philosophie à la retraite et agent de sécurité maintenant pour améliorer le quotidien. Il croit que l’embargo sera levé cette année. Et le pape y contribuera car après son passage en septembre, il poursuit son voyage aux Etats-Unis à qui il demandera la fin de cette mesure en place depuis plus de cinquante ans. Il est question de cuisine, où j’apprends que le riz ne faisait pas partie de l’alimentation des Cubains. Ce sont les Américains qui l’ont introduit car il était peu cher quand ils étaient les rois à Cuba. Avant, l’alimentation était d’inspiration espagnole et africaine. Quant au prix du poisson, il y a des débats dans le groupe. Certains prétendent que la viande est plus chère que le poisson et d’autres le contraire. Je suis invitée à donner mon point de vue d’Européenne. Mais tout le monde s’entend sur les prix trop élevés pratiqués dans l’île, y compris par les taxis qui abusent des touristes !

On peut porter un costume et ramasser des canettes de soda.

Je fais un tour dans le quartier. Dans les petites rues transversales, seules des maisons parfois élégantes cachent des vies mystérieuses. Les rues plus importantes ont de belles demeures à colonnes, certaines très bien entretenues et d’autres en ruines. Un marché attire mon attention. Toujours la même rengaine : avocats, mangues, bananes, oignons, petits poivrons. Pas de diversité. Je repasse devant Coppelia où les files d’attente semblent n’avoir pas bougé. Je comprends qu’après avoir piétiné aussi longtemps, chacun prenne son temps pour déguster sa glace !

La Havane depuis le Malecon sous un ciel menaçant.


Le ciel est très gris au-dessus de la vieille Havane. Je pousse ma promenade jusqu’au Malecon. Le ciel devient de plus en plus noir mais laisse une merveilleuse bande claire planer sur la ville. Quelques gouttes tombent, le vent s’est vraiment levé et la pluie s’éloigne. Un Israélien s’intéresse à mon voyage. Il a choisi Cuba pour les mêmes raisons que moi. Et nous sommes bien plus de deux à penser que ce pays va se modifier en profondeur dans les années qui viennent et qu’il était préférable de venir avant le désastre… ou le salut. Difficile de savoir ce qu’il y a de mieux. Le pire étant que personne ne saura tirer les leçons d’expériences passées et que l’introduction du capitalisme fera des dégâts similaires à ceux qu’ont connus d’autres pays sous-développés devenus pays en voie de développement. En attendant, capitalisme ou socialisme, la lumière sur le Malecon et la ville derrière est l’une des plus belles depuis que je suis à Cuba.

L'immeuble des Bacardi, fabricant de rhum.

Il est temps de revenir vers mon point d’attache. Cette fois ce sera en Lada, les chauffeurs de coco- taxis étant de véritables voleurs. Peu avant d’arriver au Capitolio, le chauffeur me prie de le payer avant le point final car il n’a pas de licence. Si un policier le contrôle alors que je lui règle la note et qu’il constate qu’il circule sans autorisation, c’est l’amende. La voiture n’est pas à lui mais à son oncle. Il a perdu son travail, sa femme vient d’accoucher alors il fait un peu le taxi clandestin avant de retrouver un travail. Le jeune homme ne livre pas un récit à tirer des larmes. Une halte photo de rue au Parque central avant une tentative de connexion à Internet à l’hôtel du même nom. Tentative, car ce soir, je ne parviens pas à me relier au monde. D’ailleurs, c’est finalement plus compliqué à La Havane que dans tout le reste du pays. Récupérer les tweets des dernières heures ou afficher la page d’accueil du Figaro, autant décrocher la lune. Ca sent le contrôle à plein nez.

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  • Premier voyage à Cuba, avant que les relations de l'île avec les Etats-Unis ne soient totalement réchauffées. Merci Barack Obama de cette décision qui m'a fait changer de destination de vacances.
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