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A Cuba, Che Fidel
4 juillet 2015

Il fait bon être journaliste dans les environs de Santiago

Aujourd’hui, un taxi passe me prendre pour sortir de la ville et aller jusqu’à la Gran Piedra, à une trentaine de kilomètres de Santiago. A 1200 m d’altitude, ce rocher n’a rien d’extraordinaire en dehors de la vue qu’il offre sur la Sierra Maestra, mais il y fait frais. Mon chauffeur, celui qui m’avait amenée de la gare routière de Santiago et qui venait de passer trois mois en France, est à l’heure. Il a rempli le réservoir seulement à moitié. L’essence coûte chère et n’a pas vraiment baissé avec la dégringolade du cours du baril de pétrole. Nous approchons d’un poste de police, un policier fait signe de se garer. Il vérifie tous les papiers. Qu’il en manque un et c’est l’amende assurée. La route, en assez mauvais état, monte rapidement et très sérieusement. Des mangues tapissent le sol et des vaches broutent au bord de l’asphalte, créant immanquablement des accidents. Ce lent trajet nous offre un bel espace de discussion.

Vue sur la mer des Caraïbes sur la route de la Gran Piedra.

Engagé dans les mouvements de jeunesse révolutionnaire, Mario Eugenio, 64 ans, a travaillé pour la radio et la télévision d’Etat. Jusqu’à ce qu’il réalise que le gouvernement lui vole sa vie en prétextant lui offrir la sécurité. Il a cru à Fidel avant de comprendre que ce dernier n’avait rien fait d’autre que remplacer la dictature de Batista par une autre. Et que Raoul puisse prendre la relève l’indigne. Où a-t-on vu des frères se passer le relais du pouvoir ? En Syrie, en Corée du Nord, lui fais-je remarquer, sauf que c’est de père en fils. Le fait que ses trois filles aient émigré en France, en Belgique et en Italie (deux d’entre elles ont été « enlevées » par des étrangers tombés follement amoureux), lui a aussi ouvert les yeux. Il peut faire des comparaisons. Si les Cubains ne se sont jamais révoltés, selon lui, c’est parce que les CDR (Comités de défense de la révolution) installés dans chaque ville, chaque quartier, sont très efficaces. Les gens se sont habitués et ont peur. Bien sûr, il est interdit de faire grève et certains artistes ont été sérieusement réprimandés encore dernièrement pour avoir osé une performance un peu critique sur une place publique.

Pendant que nous parlons, l’air devient plus frais, nous doublons un camion. Pas d’autre véhicule en vue. Un point de vue permet de reposer un peu la voiture. Il ouvre le capot pour refroidir le moteur de sa Hyundai pendant que je prends des photos. Les brumes de chaleur obscurcissent malheureusement le paysage. Autour de nous que du vert, des sapins, des fougères et là-bas dans le fond, près de la mer, des crêtes blanchies par un soleil décidé à donner le maximum de sa puissance.

Salon de la maison au Cafetal Isabelita.

Avant d’entamer l’ascension de la Gran Piedra, nous allons à la première plantation de café de Cuba, le cafetal Isabelita, créée par un français marié à une esclave. Même discours pour les photos, toujours au même tarif. J’explique à la dame de l’accueil que c’est dommage parce que j’ai pour habitude de raconter ce que je vois, ce que je fais et qu’en mettant des photos sur Internet, je donne envie aux gens de venir dans ces endroits. Mon chauffeur précise que je suis journaliste et donc habituée à prendre des photos. La dame est sensible à tous les arguments et ajoute qu’elle ne fait qu’appliquer les ordres du gouvernement. Nous entamons la visite et elle me dit que je peux prendre toutes les photos que je veux !

Meule au Cafetal Isabelita.

L'histoire se révèle plus intéressante que je ne le pensais. Une salle est consacrée aux outils, une autre au tri, une terrasse au séchage du café. Le plus terrible étant ce trou creusé pour que les femmes esclaves enceintes se mettent à plat ventre afin de recevoir les coups de fouet qu’elles méritaient, le trou protégeant leur progéniture à venir. Un moulin de pierre d’une large circonférence servant à ôter les enveloppes du café, en bon état, vieillit dans un îlot de verdure. La maison a gardé son mobilier, lit à baldaquin, piano droit, secrétaire et belle salle à manger donnant sur la terrasse utilisée pour sécher le café.

Mon chauffeur ayant été quelque peu surpris par ma fermeté de ne pas payer 5 CUC pour les photos, il m’indique un chemin qui mène à la Gran Piedra et m’évitera ainsi de payer pour monter l’escalier… par lequel je redescendrai bien entendu. De cette pierre soi-disant issue d’une éruption volcanique, le paysage s’étend jusqu’à la mer mais pas d’aperçu de Guantanamo, perdu dans les brumes. Après quelques échanges aimables avec les trois femmes vendant des bijoux, je redescends donc par l’escalier. Une fois en bas, l’homme chargé d’encaisser les entrées vers la montée (1 malheureux CUC pour grimper 450 marches !) reste interdit. Il est certain de ne pas m’avoir vu entamer l'ascension et pourtant je suis en bas des marches. Il regarde avancer comme si je descendais du ciel !

Paysage depuis la Gran Piedra.

Paysage depuis la Gran Piedra.

Non loin de là, il y a une vallée préhistorique fabriquée de toutes pièces, une sorte de parc dont nous sommes friands en Occident. De la route, nous apercevons quelques spécimens, de grands éléphants dans un environnement aride… et quelques visiteurs. Nous passons notre chemin pour aller voir la Granjita Siboney, une maison où s’est préparée l’attaque du 26 juillet, toujours présentée comme une victoire alors que ce fut une défaite. La dame est beaucoup moins ouverte que celle de la plantation de café. L’endroit consiste essentiellement en photos, surtout des martyrs ensanglantés tombés au combat, papiers d’identité et, à l’extérieur, la voiture d'Abel Santamaria, un des chefs de la rébellion aux côtés de Castro.

Voiture d'Abel Santamaria à la Granjita Siboney.

 

Quelques kilomètres plus à l'est se trouve le Musée de l’automobile. Et là surprise, je paie l’entrée, fais mon discours sur les photos en précisant que je suis journaliste. La dame est fort désolée car si elle l’avait su avant, elle ne m’aurait pas fait payer l’entrée car j'appartiens à une catégorie de gens capables de faire de la publicité au musée ! Qui l’eut cru ! Jamais je n’aurais pensé que mon statut professionnel aurait eu des avantages dans un pays comme Cuba. La plus vieille automobile date de 1912, une Ford à manivelle. Il y a celle de Fidel qui lui servit pour la très célèbre attaque du 26 juillet, une Cadillac encore scintillante ayant appartenue au chanteur Benny Moré. Et une belle Citroën de 1956, seule voiture française au milieu des Buick, Chevrolet, Oldsmobile… Elles sont protégées par des toits récemment construits et il y a un vrai effort de présentation.

Musée de l'automobile.

Musée de l'automobile.

La plage de Siboney est toute proche. Je ne regrette pas de ne pas y avoir passé une après-midi. Beaucoup de cailloux et une impression d’ensemble pas très propre.

Plage de Siboney.

Je suis de retour à la casa en tout début d’après-midi. Un peu de repos s’impose avant la découverte du Musée de la lucha clandestina, encore un. Ancien commissariat sous l’ère Batista, il fut la cible des combattants de Fidel... le 26 juillet pendant le carnaval parce que les militaires n’étaient pas vraiment en état de combattre. Cocktails molotovs, photos des héros tombés pour la patrie, vêtements qu’ils ont portés, l’histoire est bien racontée. Mais je crois que j’ai ma dose de l’histoire révolutionnaire de l’île. En sortant, un homme en pantalon de velours côtelé m’aborde : « French, spanish, deutsch ? » Au mot France, il rétorque : « Bonjour, comment ça va, ca va bien ? » Et nous reprenons la discussion en espagnol parce que s’il parle russe et anglais, son français ne va pas plus loin que ces mots basiques. C’est un ex-médecin. Il me demande des nouvelles d’Alain Delon, Catherine Deneuve, Brigitte Bardot, dont il a entendu dire qu’elle s’occupait d’animaux, Jean-Paul Belmondo et Michel Legrand. N’en revient pas qu’ils soient tous encore vivants ! Il a étudié en URSS et au Canada, a eu le malheur de répondre lors d’un congrès que s’il ne pouvait pas guérir les gens du cancer c’est que tous les traitements allaient dans une clinique d’un sbire du gouvernement. Licence retirée et interdiction d’exercer la médecine. Son débit est rapide. Je ne sais s’il a bu ou s’il est un peu fou. Un peu des deux, sûrement, mais j’ai tendance à croire à son histoire parce qu’en peu de temps, il démontre une certaine culture. Un bout de conversation sur le vif. Demain, un autre étranger aura droit aux mêmes égards.

"Where are you from?" Cette fois c'est une femme qui va fêter les 15 ans de son neveu, moins important que pour les filles, qui m'adresse la parole dans la rue tout en continuant de marcher. Elle me raconte qu’elle a un frère belge et que son père vit en Belgique, qu’il est actuellement à La Havane, mais ne vient pas jusqu’à Santiago. Nous commentons le festival carribéen que nous n’avons pas encore testé et nous séparons au carrefour suivant. Echange spontané, né d’une simple curiosité. Trois minutes et puis s’en va, moment fugace mais qui laisse une trace.

Et là, une rencontre dont je me serais passée. Je recroise mon « amoureux » d’hier qui, trop content de me retrouver, me fait des propositions très claires… que je refuse avec une très grande fermeté. Et s'excuse de m'avoir dérangée... comme hier !

Cathédrale de Santiago de Cuba.

La journée se termine à la terrasse du Casa Granda, bel hôtel qui donne sur la place Cespedes. Le service est moyen. Un anglophone aux allures d’Hemingway descend bière sur bière puis rhum, entrecoupé de cigarettes. Il se lève, le ventre mis en évidence par sa chemise hawaïenne ouverte, s’adresse au personnel en espagnol. L’alcool chauffe son discours. Il est accompagné d’une femme amorphe, qui avale des frites tout en sirotant un mojito. Cet endroit est le rendez-vous un peu obligé des étrangers. Le loup solitaire cherchant le contact à Trinidad s’assied à une table. Je prends soin de regarder dans une toute autre direction.

Musiciens sur la place Cespedes à Santiago.

Concert place Cespedes à Santiago de Cuba

Un orchestre d’une petite trentaine de musiciens se met en formation sur la place. Je demande la note. Elle ne vient pas, mais arrive sur les tables autour de moi. Je la redemande. Toujours rien. Lassée, je me lève et prends la direction de la sortie étant certaine de sentir une main sur mon épaule pour me signifier que j'ai oublié quelque chose... Eh bien, non ! Alors, oui, je suis partie sans payer. Je rejoins les rares spectateurs sur la place pour une musique pourtant enjouée et variée.

La révolution est vraiment partout.

A ma casa, mon hôte réalise que nous n'avons pas mangé de glace aujourd'hui. Devant la télé qu'il regarde à longueur de journée, nous savourons ce moment de fraîcheur.

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  • Premier voyage à Cuba, avant que les relations de l'île avec les Etats-Unis ne soient totalement réchauffées. Merci Barack Obama de cette décision qui m'a fait changer de destination de vacances.
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